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La retraite : une responsabilité collective (Revue Relations)
Par Catherine Caron, Revue Rlations, no 771, d'avril 2014
« Le but de la société n'est-il pas
de procurer à chacun le bien-être ? »
- Balzac, La peau de chagrin
« Aucune promesse ne vaut pour l'Homme s'il n'a conscience qu'il accomplit déjà cette promesse, et la société de l'avenir n'est qu'une abstraction vide de sens si ses valeurs ne sont comprises et vécues dans la société d'aujourd'hui.»
- Albert Camus, Les justes
Depuis le dossier que Relations a publié en mars 2002, Quel régime pour la retraite ? (no 675), la crise financière de 2007-2008 est passée par là, faisant des ravages qui n'ont pas fini de détruire vies et acquis sociaux dans plusieurs pays. Avec la rapacité et la cupidité des marchés financiers comme moteur, cette crise a heurté de plein fouet les régimes de retraite québécois. La Caisse de dépôt et placement du Québec a scandaleusement perdu 40 milliards de dollars. Bien des personnes se retrouvent contraintes de travailler plus longtemps ou de vivre une retraite amputée de leurs épargnes dévalorisées, voire disparues. Le « problème » des régimes de retraite est ainsi revenu à l'avant-scène au Québec, de sorte qu'après un comité d'experts, une commission parlementaire et un plan d'action gouvernemental, des mesures législatives sont attendues, de même que l'évaluation du Régime de rentes du Québec.
Or, avant d'être un « problème », ou encore un « marché », comme ose la présenter la Régie des rentes du Québec elle-même, la retraite est un droit conquis de chaude lutte qui, pour se concrétiser, dépend du contrat social que nous choisissons collectivement de nous donner. Elle découle d'un pacte, par ailleurs de plus en plus trahi par les élites politiques et économiques.
En effet, tout comme un-e travailleur-euse peut désormais cotiser à l'assurance-emploi sans se garantir les prestations auxquelles il devrait avoir droit, il peut cotiser à une caisse de retraite sans se garantir une rente. Ces outils de solidarité sont de plus en plus détournés de leur objectif, ce qui contribue à isoler les individus et à les rendre plus vulnérables, servant bien ceux à qui peut profiter une telle situation.
Mais surtout, la retraite est une question éminemment politique. La réponse collective qu'on y apporte révèle quel poids notre société accorde au travail, au partage de la richesse, à la dignité et à la solidarité humaines. À cet égard, historiquement, le Québec et le Canada n'ont pas fait le choix de se donner d'excellents régimes publics de retraite universels, basés sur la solidarité intergénérationnelle et le partage de la richesse, comme l'ont fait la majorité des pays européens et scandinaves. Les forces du capital ont eu le dessus sur les forces sociales en cette matière, rendant nécessaires le recours aux marchés financiers (la capitalisation) et les compléments à des régimes publics certes précieux, mais faibles : ceux-ci n'assurent même pas un revenu suffisant pour hisser les personnes qui en dépendent exclusivement – 38 % de la population active au Québec – au-dessus du seuil de la pauvreté.
Notre système de retraite est ainsi bien dépendant de rendements financiers qui n'ont pas que du bon, puisqu'ils peuvent découler de pertes d'emplois massives ou de graves violations de droits humains faites par les entreprises, comme l'a rappelé avec éloquence le livre Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique (Écosociété, 2008). Les élites financières mènent depuis des décennies une offensive dont le but n'est pas la quiétude de nos vieux jours, mais bien la captation de notre épargne-retraite pour alimenter, à nos risques, les circuits financiers et le grand casino du monde.
Les Français sont de ceux qui luttent depuis des années contre ce processus et parlent avec raison de la « bataille des retraites ». Sur ce champ de bataille, chez nous, quelques remparts – les régimes publics et les régimes complémentaires à prestations déterminées surtout – empêchent encore la privatisation, la désocialisation complète de la retraite. Ils doivent être consolidés et vus non pas comme un parti pris hasardeux, mais comme l'option la plus censée et rationnelle.
Mais des tranchées idéologiques bien creusées traversent aussi ce champ de bataille, cloisonnant les débats sur la retraite et empêchant souvent de voir l'horizon des possibles. Des solutions collectives existent pourtant bel et bien pour résoudre les difficultés auxquelles font face nos régimes et l'approche du chacun pour soi est injustifiable, ce dossier en témoigne bien. Des questions qui dérangent doivent aussi être posées. Par exemple, nos gouvernements ne protègent-ils pas les revenus du capital bien davantage que nos revenus de retraite ? Ils ont sauvé les banques bien plus que les régimes de retraite complémentaires lors de la crise; ils rechignent à taxer les revenus du capital et n'envisagent pas qu'ils puissent être mis à contribution pour financer les retraites. De plus, la crise financière ne devrait-elle pas nous inciter à remettre en question le choix de la soumission des régimes aux logiques de la croissance infinie et des rendements qui alimentent les crises écologique et financière ? Si s'assurer une retraite est non pas une corvée individuelle difficilement réalisable, comme plusieurs le pensent de plus en plus, mais bien partie intégrante d'un véritable projet de société basé sur la solidarité et une exigence de redistribution équitable de la richesse, les réponses à ces questions sont cruciales.
Chose certaine, il nous faut « renverser du tout au tout la perspective que veulent nous imposer le gouvernement et le patronat. Au ''travailler plus'', il faut sans complexe opposer l'exigence de travailler moins. Travailler moins pour partager le travail entre toutes et tous afin de lutter contre le chômage et la précarité. Travailler moins pour ne pas perdre sa vie à la gagner et avoir ainsi du temps pour soi et pour les autres. [...] Réduire le temps passé au travail en partageant de façon plus équitable la richesse produite est nécessité porteuse de nouveaux rapports sociaux, plus égalitaires, moins oppressifs » (J.-M. Harribey et C. Marty [dir.], Retraites : l'alternative cachée, Paris, 2013, p. 46).
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