RÉSEAU DE VIGILANCE — Entre deux votes… je compte
Québec, 20 octobre, 2005.

Madame la députée, Monsieur le député,

En avril 2003 le Parti Libéral prenait le pouvoir et son chef promettait aux QuébécoisEs un nouvel eldorado.
C’est un formidable projet que nous avons élaboré avec les Québécois. Nous allons insuffler un vent d’air frais au Québec. Nous allons ouvrir les fenêtres de notre grande maison. Nous allons nous donner une société dans laquelle nous serons plus libres et plus prospères. Le Québec sera plus stimulant pour chacun de nous. (Monsieur Jean Charest lors du Discours inaugural).

À la veille d’une troisième rentrée parlementaire, ce vent d’air frais est devenu un courant glacial qui paralyse la société, détruit les liens de solidarité, renvoie à la jungle du « chacun pour soi ».

Briller parmi les meilleurs?
En tant que membres de l’Assemblée nationale vous vous êtes en effet empressés d’adopter des lois et des politiques – dont plusieurs sous le bâillon – qui se sont directement attaqués aux droits, qui sont allés à l’encontre d’une véritable redistribution de la richesse et qui ont fragilisé le caractère démocratique de la société québécoise. Plusieurs projets d’ailleurs avaient déjà été amorcés par le gouvernement précédent. Du harcèlement envers le réseau des services de garde à la réforme rétrograde de la sécurité du revenu en passant par le chambardement forcé du réseau de la santé, le démantèlement des structures régionales de développement, l’ouverture tout azimut à la sous-traitance, le fiasco des défusions, les coupures dans le régime de bourses aux étudiants, les attaques démagogiques contre le syndicalisme (mais jamais contre le patronat qui, lui, n’a pas d’intérêt…), le parti pris pour la privatisation à travers les partenariats public-privé, (et la liste pourrait s’allonger…) nous constatons que le gouvernement Charest garde le cap sur son seul et unique projet : casser la société québécoise au nom d’une réingénierie néolibérale dépassée et désastreuse pour les citoyennes et les citoyens. Et cela s’appelle paradoxalement Briller parmi les meilleurs!

La réaction citoyenne n’a pas tardé...
La population elle-même a fait comprendre au gouvernement Charest qu’elle n’avait pas voté pour cette entreprise de démolition et de saccage des biens collectifs et des outils de la solidarité sociale. Dès le 21 octobre 2003, le Réseau de Vigilance – une coalition de forces syndicales, populaires, féministes, écologistes, étudiantes, etc.- sonnait l’alarme : nous nous adressions à vous pour vous demander de gouverner en vue de respecter l’ensemble des droits reconnus par les Chartes nationales et internationales, de favoriser le vivre ensemble et la redistribution de la richesse et de promouvoir la démocratie.

Ce que nous attendons de vous
Nous nous adressons de nouveau à vous à l’occasion de cette troisième rentrée parlementaire au moment où un nouvel appel à la « lucidité » vient conforter le statu quo néolibéral. Le Québec doit plutôt être appelé à emprunter résolument la voie de la solidarité. Au cours de la session qui s’amorce nous souhaitons un changement de cap dans les domaines suivants :

La lutte à la pauvreté
Dans l’immédiat, cette lutte passe par : - la mise en place de mesures concrètes permettant de couvrir les besoins fondamentaux et de faire échec aux préjugés et à la discrimination, - la réparation des coupures faites en janvier 2005 (indexations insuffisantes et changements odieux au règlement de l’aide sociale), - instauration comme promis de la gratuité des médicaments pour toutes les personnes à l’aide sociale et l’établir pour l’ensemble de celles vivant sous le seuil de faible revenu, - établissement du salaire minimum à un niveau qui permette réellement de sortir de la pauvreté.

Cette lutte passe également par une politique de plein emploi, un frein à la croissance de l’emploi précaire, l’amélioration des lois du travail et l’adoption de mesures de protection des travailleuses et des travailleurs exerçant un travail précaire et atypique. Une autre façon de mener la lutte à la pauvreté, c’est de réaliser une fois pour toutes l’équité salariale pour les femmes.

La fiscalité
Nous nous réjouissons que le gouvernement renonce aux baisses d’impôt pour la prochaine année. Nous vous invitons à poursuivre dans cette direction car il ne peut y avoir de baisses d’impôt tant que les besoins fondamentaux de la population ne sont pas satisfaits. Par ailleurs, le gouvernement doit savoir que nous l’appuierons énergiquement dans le dossier du déséquilibre fiscal face à Ottawa.

La santé
Nous attendons du gouvernement qu’il préserve jalousement le caractère public et universel de notre système de santé en réponse au jugement de la Cour suprême. Halte donc à une plus grande privatisation des services de santé et des services sociaux et maintien d’un financement public adéquat.

La démocratie
Nous tenons à vivre dans une société où la démocratie est forte et vivante. Nous espérons donc pouvoir compter sur vous pour donner aux citoyennes et aux citoyens une plus grande place dans la vie démocratique du Québec, pour privilégier diverses formes de démocratie participative afin que la vie politique cesse d’être vue comme une affaire de politiciens et de politiciennes de carrière.

Parmi les enjeux démocratiques, la réforme du mode de scrutin occupe une place importante. Ce que nous connaissons de l’avant-projet de loi déposé en décembre 2004 ne laisse présager rien de bon en terme d’avancée démocratique. Une véritable réforme du mode de scrutin doit respecter, selon nous, les cinq principes suivants : le pluralisme politique, le poids égal de chaque vote, la représentation égale des hommes et des femmes, la diversité ethnoculturelle, la représentation des régions.

Les services publics
Nous ne pouvons plus accepter de les voir fragilisés d’un budget à l’autre. Santé, éducation, sécurité du revenu, culture, environnement, transports, agriculture, organismes de protection des droits, etc., tous ces services publics constituent un outil indispensable de solidarité sociale et jouent un rôle majeur dans la cohésion sociale et économique, assurant une répartition plus équitable de la richesse. Nous nous attendons donc à ce que vous adoptiez des lois assurant le développement nécessaire de ces services.

Enfin concernant les négociations du secteur public et sans intervenir sur le fond des questions, nous sentons le besoin d’exprimer notre désapprobation complète : ce gouvernement manifeste du mépris à l’égard des organisations syndicales et prétend s’attacher l’appui de la population en adoptant à leur endroit, de façon démagogique, une attitude de «terminator». Ce petit jeu dangereux qui consiste à monter les non syndiquéEs contre les syndiquéEs doit cesser. De plus, la question de l’équité salariale doit être dissociée de la négociation des conventions collectives comme l’exige l’application de la Loi sur l’équité salariale. Enfin nous soutenons toute revendication susceptible de mettre les services publics à l’abri de la privatisation ou d’un recours accru à la sous-traitance comme nous appuyons les mesures permettant de réduire la précarité des emplois, phénomène qui frappe davantage les femmes et les jeunes dans les services publics comme ailleurs dans la société.

En octobre 2003, nous sonnions l’alarme. Aujourd’hui, la vigilance nous semble plus que jamais de mise. Nous vous rappelons qu’«entre deux votes, nous comptons» …. chaque fois que ce gouvernement remettra en question les droits, bradera le service public ou compromettra le développement démocratique, il devra faire face à notre mobilisation. Nous ne voulons pas « briller parmi les meilleurs ». Nous rejetons la « lucidité » à sens unique du courant conservateur. Seule la solidarité nous rendra vraiment lucides face à nos responsabilités collectives. C’est dans cette orientation que nous vous invitons à gouverner.

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à la présente et nous vous prions d’accepter nos salutations vigilantes.

Serge Roy,
Michèle Asselin,
Lorraine Guay,
Éric Bondo,
Vivian Labrie,
François Saillant

Membres du Comité de liaison
du Réseau de Vigilance